Décoder le programme des cellules B du centre germinatif humain pour élaborer de nouvelles thérapies antitumorales
Les centres germinatifs (CGs) sont de microscopiques usines cellulaires dans lesquelles les lymphocytes B prolifèrent et sont instruits à produire des anticorps de haute affinité capables de neutraliser les pathogènes envahissants, nous empêchant ainsi de développer des maladies infectieuses graves. La remarquable plasticité anatomique, cellulaire et moléculaire des CGs est parfaitement coordonnée ; toute perturbation pourrait altérer la réponse aux microbes pathogènes et favoriser la formation de cancers. Il est donc essentiel, pour développer de nouvelles thérapies ciblées contre les infections récalcitrantes et les cancers, de décoder la dynamique moléculaire précise par laquelle les CGs agissent.
« De nombreuses études ont clarifié la biologie du CG, mais l'approche intégrative à l’échelle de la cellule unique adoptée par l'équipe de Pierre Milpied est en train d’en transformer notre compréhension. »
Les centres germinatifs (CGs) sont de petits compartiments transitoires apparaissant dans les follicules des organes lymphoïdes secondaires tels que la rate et les ganglions lymphatiques. Ils apparaissent après une exposition à des microorganismes pathogènes. C’est à l’intérieur que va se propager la réaction immunitaire au cours de laquelle les cellules B du CG subissent des cycles répétés de prolifération, de sélection et de différenciation afin de produire des plasmocytes sécréteurs d'anticorps et des cellules B mémoire. Ces cellules à longue durée de vie confèreront une immunité durable contre les pathogènes. Une fois que la réponse immunitaire a éliminé les agents pathogènes, les CG disparaissent et les follicules sont restaurés. De nombreuses études ont clarifié la biologie du CG, mais l'approche intégrative à l’échelle de la cellule unique adoptée par l'équipe de Pierre Milpied est en train d’en transformer notre compréhension.
Centre germinatif dans un ganglion lymphatique de souris après immunisation avec un antigène modèle. Les cellules B du CG expriment le facteur de transcription BCL6 (vert). Les anticorps spécifiques de l’antigène (exprimés sur les cellules B sous forme de BCR ou capturés sur le réseau de cellules dendritiques folliculaires) contiennent une chaîne légère lambda 1 (rouge). Copyright : Pierre Milpied, CIML.
La plupart des connaissances actuelles sur la biologie du CG est basée sur des mesures globales et des moyennes qui reflètent les mécanismes biologiques dominants dans une population de cellules. Cependant, cette approche ne prend pas en compte les comportements individuels des différentes cellules de la population étudiée. Sachant que l'hétérogénéité cellulaire joue un rôle essentiel dans les processus biologiques des CGs, il est important de développer de nouvelles stratégies expérimentales pour évaluer la plasticité fonctionnelle et moléculaire dans les CGs. Pierre Milpied et son équipe ont choisi d’utiliser une approche intégrative à l’échelle de la cellule unique, dans le but d'intégrer une cartographie complète des changements d'expression phénotypiques et génétiques dans un modèle dynamique de différenciation des cellules B du CG. Utilisant des outils bioinformatiques puissants, ils ont intégré plusieurs jeux de données à haut débit provenant de cellules B du CG (séquence génétique de l’anticorps, transcriptome et phénotype) pour déchiffrer les programmes moléculaires des cellules B dans des tissus sains ou néoplasiques.
L’équipe « Immunologie intégrative des lymphocytes B » de Pierre Milpied s’emploie à modéliser les centres germinatifs dans un environnement sain ou pathologique et à décoder les réponses des cellules B qui infiltrent certains types de cancer chez l’homme.
Bien que les cellules B du CG passent par plusieurs états au cours de la réaction folliculaire, elles sont classées en deux catégories en fonction de leur emplacement - ZS (Zone Sombre) ou ZC (Zone Claire). L’analyse intégrative sur cellule unique de l’expression génique, du phénotype et des séquences génétiques d’anticorps a révélé que les cellules B du CG humain forment un continuum d'états de transition plutôt que deux populations ZS et ZC séparées. De manière remarquable, l'hétérogénéité des cellules B du CG a été caractérisée par l’identification de groupes de gènes dont l’expression est synchronisée. Ces résultats ont ensuite servi de référence pour l’étude de l’un des lymphomes adultes les plus courants, le lymphome folliculaire, un cancer dérivé des cellules B du CG et présentant des transcriptomes étroitement apparentés à ceux des cellules B du CG. Utilisant la même approche intégrative sur cellule unique qui leur a permis d’identifier une signature unique d'expression de cellules B du CG et leurs groupes de gènes, Pierre Milpied et ses collègues ont découvert une « désynchronisation des programmes d'expression génétique du CG » dans ces lymphomes à cellules B ; leurs travaux ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature Immunology en septembre 2018.
Désynchronisation des programmes d'expression génétique du CG dans les lymphomes à cellules B. L’analyse de corrélation de l’expression génétique à l’échelle « cellule unique » montre un réseau de co-expression caractéristique dans les lymphocytes B du CG (haut). Ces profils de co-expression disparaissent dans les cellules B du lymphome (bas). Copyright : Pierre Milpied, CIML.
Non seulement cette analyse intégrative nous renseigne sur la manière d’optimiser le diagnostic, le pronostic et le traitement des lymphomes à cellules B, mais elle peut aussi être appliquée dans l’étude de cancers solides qui sont infiltrés par des cellules B organisées en des structures similaires à des CGs. L’équipe de Pierre Milpied est actuellement en train de développer un protocole pour définir la spécificité antigénique et l’affinité des anticorps dérivés des lymphocytes B activés in situ, ceci afin d’identifier de nouvelles façons de stimuler les réponses antitumorales préexistantes.
Protocole pour l’analyse intégrative lymphocytes B à l’échelle « cellule unique ». Copyright : Pierre Milpied, CIML.
Les travaux de Pierre Milpied et de son équipe ouvrent la voie au développement de la médecine personnalisée.
Plus que de simples usines, les centres germinatifs offrent une plateforme et un microenvironnement permettant de générer des lymphocytes B qui présentent une grande hétérogénéité et plasticité fonctionnelles. Grâce à des approches innovantes, l'équipe de Pierre Milpied déchiffre le code moléculaire de la biologie du CG. Ces recherches permettront aux scientifiques et cliniciens de développer de nouvelles thérapies ciblées et personnalisées dans le traitement de nombreux lymphomes et cancers solides.