Cellules Natural Killer et immunité anti-tumorale

Au sein de l’écosystème que constitue notre organisme, les cellules NK sont des prédateurs redoutables et hautement sélectifs : en quelques heures à peine, elles tuent les cellules tumorales ou infectées tout en épargnant les cellules saines.

Dans plusieurs laboratoires à travers le monde, des scientifiques ont conjugué leurs efforts afin de comprendre comment ces tueurs éliminaient leurs cibles et elles seules alors même qu’ils étaient dépourvus des récepteurs aux antigènes hautement sélectifs de leurs proches cousins, les lymphocytes T.

Aujourd’hui on sait non seulement comment les cellules NK sont contrôlées mais aussi comment elles contrôlent à leur tour d’autres agents du système immunitaire. L’histoire des NK est pourtant loin d’être terminée... on essaie de manipuler les cellules NK pour soigner le cancer.


N pour Natural, K pour Killer, comme son nom l’indique, la cellule NK est avant tout une cellule tueuse. Avec ses congénères du système immunitaire inné (polynucléaires, monocytes, macrophages, cellules dendritiques et lymphocytes Tγδ), elle patrouille l’organisme et repère les cellules cancéreuses ou infectées. Une fois identifiée, la cellule malade est détruite en quelques minutes par un mécanisme dit cytotoxique : la cellule NK l’attaque au corps à corps en libérant des substances qui perforent « la peau » de sa victime, c’est la mort par lyse. Parallèlement, la cellule NK sécrète des cytokines (les « hormones » du système immunitaire) qui stimulent et orientent la réponse des autres agents de l’immunité innée et notamment des lymphocytes du système immunitaire adaptatif.

Comment la cellule NK parvient-elle à distinguer une cellule malade d’une cellule saine ? L’équipe d’Eric Vivier a largement contribué à la résolution de cette énigme au milieu des années 90.

AU COURS DE L’EVOLUTION, LA CELLULE NK A TOUT SIMPLEMENT APPRIS A COMPTER !

"Pour discriminer le normal du pathologique, la cellule NK a développé un système de détection très sophistiqué » souligne Eric Vivier. « Il repose sur des radars de surface couplés à des voies de signalisation intracellulaires qui transmettent l’information jusqu’au noyau de la cellule afin que celle-ci prenne sa décision : tuer ou ne pas tuer. Parmi ces radars, on distingue des récepteurs activateurs et inhibiteurs. Les premiers repèrent les signaux de dangers émis par les seules cellules stressées et placent la cellule NK en mode « extermination ». Les seconds détectent les molécules du soi (dites du Complexe Majeur d’Histocompatibilité de classe I ou CMH I) propres à toutes les cellules saines de chaque individu et désactivent la fonction cytotoxique de la cellule NK : la cible est épargnée et le prédateur peut alors se remettre à patrouiller."
 
Reste que la plupart du temps, la cellule NK reçoit ces signaux antagonistes simultanément. Dans ce contexte comment parvient-elle à prendre sa décision ? "Au cours de l’évolution, elle a tout simplement appris à compter !" déclare Eric Vivier. "La cellule NK effectue la somme des signaux qu’elle reçoit : elle épargne les cellules saines qui lui envoient des signaux inhibiteurs et peu ou pas de signaux activateurs, alors qu’elle tue les cellules cancéreuses ou infectées qui non seulement délivrent des « signaux de danger » mais sont aussi devenues incapables d’envoyer des signaux inhibiteurs protecteurs. En somme, la cellule NK fonctionne à l’instar d’un médicament idéal : efficace et non toxique."

Dans la réalité, nos cellules NK ne sont pas toujours capables de combattre efficacement les pathogènes et les cancers auxquels nous sommes confrontés. D’où l’idée de s’appuyer sur ces découvertes pour stimuler leur activité. Grâce aux anticorps monoclonaux plusieurs stratégies sont envisageables. Certaines de ces approches sont développées par Innate Pharma, une société créée en 1999 à partir des travaux d’Alessandro Moretta, Professeur à l’Université de Gènes, et d’Eric Vivier. Ces anticorps sont aujourd’hui évalués en clinique dans le cancer et les maladies inflammatoires.
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De nouvelles thérapies qui stimulent l'immunité antitumorale ont été développées au cours de la dernière décennie. Ces thérapies visaient essentiellement à stimuler les lymphocytes T, un type de globules blancs qui jouent un grand rôle dans la réponse antitumorale adaptative. Bien que ces thérapies aient connu un succès sans précédent, elles ne fonctionnent que dans une minorité de patients atteints de cancer, ce qui souligne la nécessité d'identifier de nouvelles cellules et molécules qui pourraient être exploitées dans la prochaine génération d' « immunothérapies », c’est-à-dire de thérapies qui mobilisent l’immunité. L'exploitation de l'immunité dite « innée » apparaît comme une approche thérapeutique prometteuse pour améliorer l'efficacité des traitements anticancéreux et surmonter la résistance aux immunothérapies actuelles ciblant les lymphocytes T. En particulier, l'utilisation des cellules NK chez les patients atteints de cancer présente le double avantage d'induire l'élimination des cellules tumorales, mais aussi de participer à une réponse immunitaire multicellulaire contre les cellules tumorales. Des corrélations ont été observées entre le résultat clinique des patients et l'infiltration des cellules NK au niveau du lit tumoral ou avec la cytotoxicité des cellules NK périphériques.

L’objectif de notre équipe est de disséquer le rôle des cellules NK et de leur proches parents, les cellules lymphoïdes innées de type 1 (ILC1s), dans différentes pathologies cancéreuses dans le but de proposer des traitements innovants dans ces maladies basés sur leur manipulation à l'aide de médicaments à base d'anticorps.

Axe 1 : Treating liver metastasis.
Chef de projet : Pr Eric VIVIER, PU-PH, AMU
Financement : ERC SYNERGY (Pr VIVIER, Pr GINHOUX, Pr GASTEIGER, Dr FUMAGALLI)

Des métastases hépatiques se développent couramment chez près de 50 % des patients atteints de différents types de cancer. Le cancer colorectal (CCR) est le cancer qui métastase le plus souvent dans le foie. Au moins 25 % des patients atteints de CCR développent des métastases hépatiques colorectales au cours de leur maladie.
Les métastases hépatiques colorectales représentent le principal besoin clinique pour cette tumeur maligne, car le taux de survie à 5 ans des patients atteints d'une maladie non résécable ne dépasse pas 2 %. De nouvelles thérapies favorisant l'immunité antitumorale ont été récemment mises au point, principalement axées sur l'amélioration des réponses des lymphocytes T. Ces thérapies ont donné lieu à des résultats sans précédent mais ne sont efficaces que chez une minorité de patients, ce qui souligne la nécessité d'identifier de nouvelles cellules et molécules qui pourraient être exploitées dans les immunothérapies de nouvelle génération. Nous émettons l'hypothèse que l'immunothérapie des métastases hépatiques pourrait être améliorée de manière significative en exploitant la biologie des cellules NK et des ILC1, et des cellules myéloïdes telles que les macrophages et les cellules dendritiques.


Notre équipe rassemble des experts en biologie des cellules myéloïdes (Pr Ginhoux) et lymphoïdes résidentes dans les tissus (Pr Gasteiger), en immunologie hépatique (Dr Fumagalli) et en développement de nouvelles stratégies immunothérapeutiques qui modulent les cellules immunitaires dans la lutte contre le cancer (Pr Vivier).

Axe 2 : Treating Breast cancer.
Chef de projet : Dr Emilie NARNI-MANCINELLI, CR1, INSERM
Financement :  INCa PL-BIO (Dr NARNI-MANCINELLI, partenaire : PR ANDRE) ; MSD Avenir (Dr NARNI-MANCINELLI, Pr VIVIER, Pr ANDRE)

Le cancer du sein est le cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes dans le monde, et le cancer du sein métastatique est la deuxième cause de décès liés au cancer chez les femmes américaines. Le cancer du sein est classé en quatre sous-types moléculaires distincts basés sur le profil d'expression du récepteur des œstrogènes (ER), du récepteur de la progestérone (PR) et du récepteur du facteur de croissance épidermique humain (HER2). En particulier, le cancer du sein triple négatif (CSTN), caractérisé par l'absence d'ER, de PR et de surexpression de HER2, est le sous-type de cancer du sein le plus agressif. De même, les tumeurs HER2 positives définissent un sous-groupe de tumeurs mammaires au comportement agressif. L'augmentation du dépistage précoce, la technologie d'imagerie à haute résolution et la conception de séquences efficaces de chimiothérapie, de radiothérapie, de thérapie ciblée et d'immunothérapie ont considérablement prolongé la vie des patientes. Toutefois, le pronostic des patientes atteintes d'une maladie localement avancée ou métastatique reste médiocre.

Notre objectif est de disséquer le rôle des cellules NK et des ILC1s dans les cancers du sein dans le but de proposer des traitements innovants dans ces maladies basés sur leur manipulation à l'aide de médicaments à base d'anticorps.

Notre équipe rassemble des experts des cellules NK (Dr Narni-Mancinelli), des cancers du sein (Pr André) et en développement de nouvelles stratégies immunothérapeutiques qui modulent les cellules immunitaires dans la lutte contre le cancer (Pr Vivier).

Axe 3 : Le projet RHU PIONeeR : Immuno-Oncologie de précision pour les patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules avancé et présentant une résistance aux ICI PD-(L)1
Chef de projet : Dr Frédéric VELY, MCU-PH, AMU
Financement :  RHU

Le cancer du poumon est la première cause de mortalité liée au cancer en France et dans les pays occidentaux, représentant plus de 1,8 million de nouveaux cas et 1,5 million de décès dans le monde en 2012. Les progrès récents dans la prise en charge des patients atteints de CPNPC incluent l'utilisation de thérapies ciblant les oncogènes (mutations EGFR, BRAF ou HER2, réarrangements ALK ou ROS1) mais une altération moléculaire n'est actuellement retrouvée que dans la moitié des cancers du poumon non à petites cellules non squameux CPNPC. Plus récemment, des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI), ciblant tout d'abord PD-(L)1, ont été mis sur le marché et ont démontré un avantage en termes de survie globale par rapport à la chimiothérapie standard de deuxième ligne dans les CPNPC épidermoïdes et non épidermoïdes. Malheureusement, ce bénéfice global en termes de survie est le fait d'environ 20 % de la population des patients, alors qu'une grande majorité d'entre eux progresse en fait dès les premières semaines de traitement. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer cette absence de bénéfice, mais aucun facteur prédictif de l'efficacité (ou de la résistance) des ICI PD-1 n'est disponible à ce jour.
 
Peu de données sur les biomarqueurs sanguins ou tissulaires, au moment de la progression du PD-1 chez les patients atteints de CPNPC, sont disponibles à ce jour. Chez les patients traités par PD-L1 ICI, trois constatations majeures ont été faites : (1) peu ou pas d'infiltration de cellules immunitaires infiltrant la tumeur ("ignorance immunologique") ; (2) présence d'un infiltrat immunitaire intra-tumoral avec une expression minimale ou nulle de PD-L1 ("réponse immunitaire non fonctionnelle") ; ou (3) présence d'un infiltrat immunitaire résidant uniquement autour de la bordure extérieure de la masse de cellules tumorales. En outre, les biomarqueurs immunitaires sanguins ont également été examinés. Plusieurs changements ont été observés, mais ils ne correspondaient pas de manière significative à la réponse ou à la progression après l'administration d'un ICI PD-L1.  

Il est donc nécessaire d'en savoir plus sur les mécanismes de résistance afin de mieux traiter les patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) avancé qui progressent sous PD-1 ICI.

L'étude PIONeeR-bioprofiling vise à collecter des échantillons de sang, de tissus et de selles de patients atteints de CPNPC avancé progressant sous anti-PD1 ICI afin de mieux comprendre les mécanismes de résistance. Notre objectif principal est de valider l'existence et la distribution du profil immunitaire hypothétique (dans le sang et les tissus tumoraux) expliquant la résistance primaire ou adaptative aux inhibiteurs PD-(L)1 standard, administrés seuls ou en combinaison, chez les patients atteints de CPNPC avancé.  Notre contribution à ce projet est de réaliser la biobanque (cryopréservation des PBMC) et la génération de données à partir d'échantillons sanguins (immunophénotypage et quantification de protéines solubles).


Axe 4 : Génération d'anticorps thérapeutiques ciblant les cellules lymphoïdes innées de type 2 dans l'asthme
Chef de projet : Dr Carole BERRUYER, MCF HC
Financement :  ERC Proof Of Concept POC Minfla-Tilc (Pr VIVIER, Dr. BERRUYER)

L'asthme, touchant 300 millions de personnes dans le monde et prévu d'atteindre 400 millions d'ici 2025, ne dispose pas de traitement curatif, les traitements disponibles tels que les corticostéroïdes inhalés étant souvent inefficaces en raison de leurs effets indésirables et d'un ciblage incomplet de l'immunopathologie sous-jacente. Le ciblage des cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2), cruciales dans l'asthme allergique, offre des perspectives prometteuses. Des études montrent le rôle critique des ILC2 dans la pathogenèse de l'asthme, indiquant leur potentiel en tant que cibles thérapeutiques. Notre projet, MInfla-Tilc, vise à développer un traitement par anticorps novateur pour cibler les ILC2. Nous avons créé un engageur de cellules NK trispécifique (NKCE) pour cibler spécifiquement les ILC2 via l'expression de surface CRTH2, déclenchant la cytotoxicité des cellules NK. De plus, nous développons un modèle murin exprimant le gène humain CRTH2 pour tester l'impact thérapeutique de notre NKCE. Nous sommes actuellement dans les phases de test de validation de nos outils en contexte inflammatoire.