Lutter contre les infections, témoignages exclusifs d’un petit ver d’à peine... un millimètre de long

Caenorhabditis elegans est un petit ver plébiscité par les généticiens pour l’étude du développement et du fonctionnement des organismes vivants. En 1998, ce fut le premier animal pluricellulaire dont la séquence intégrale du génome fut publiée. Aujourd’hui, non seulement la majorité des gènes humains ont trouvé leur équivalent fonctionnel chez ce nématode mais il est aussi techniquement très facile d’éteindre ou d’allumer un gène de C. elegans et d’analyser en retour les conséquences biologiques de cette manipulation.

Jonathan Ewbank et Nathalie Pujol utilisent ce « modèle simplifié » pour mieux appréhender les mécanismes de défense contre les infections par les champignons et les bactéries.

 

Dans la compétition pour le titre du meilleur modèle de recherches en sciences de la vie, C. elegans offre quelques avantages sur ses consœurs la souris ou la drosophile. Son génome et son anatomie sont simplissimes, son cycle de croissance, rapide et surtout il est parfaitement translucide/ Pour étudier le rôle d’un gène, outre les manipulations habituelles (délétions, mutations…), on peut, grâce à une astucieuse construction basée sur un gène volé à une méduse fluorescente*, observer par transparence où et quand ce gène, littéralement,… s’allume !

C. elegans vit dans le sol parmi les végétaux en voie de décomposition et se nourrit de bactéries, ce qui l’expose singulièrement à de nombreux dangers infectieux dont il se protège selon trois grandes stratégies :

  • La fuite : le ver possède des neurones olfactifs lui permettant de détecter un micro-organisme hostile et de s’en éloigner (de même qu’il sait identifier « sensoriellement » un micro-organisme comestible avant de l’ingérer).
  • Des outils mécaniques, telle la cuticule, enveloppe de chitine et de collagène qui l’entoure et le protège, ou encore un petit broyeur niché dans son pharynx qui dégrade les bactéries ingérées pour qu’elles ne passent pas intactes dans l’intestin.
  • Enfin, un système de défense inductible, qui ressemble à l’immunité innée immédiate des mammifères. Ce dernier mécanisme permet la reconnaissance des pathogènes et des facteurs nocifs qu’ils produisent, mais aussi la prévention des dommages causés par ces agressions en induisant la libération de composés antimicrobiens et de molécules de réparation tissulaire.
Un organisme vivant manipulable génétiquement
à (très) grande échelle

L’équipe de Jonathan Ewbank a plus particulièrement étudié la réponse à l’infection par un champignon dénommé Drechmeria coniospora.

Vue microscopique de vers rampant sur une boite de Petri au travers d'aliments d'origine bactérienne. Avec l'aimable autorisation de Parafilms

Ce dernier attaque le ver de l’extérieur en sécrétant des enzymes qui percent sa cuticule pour l’infecter à travers son épiderme. En réponse, les gènes en charge de la production de molécules antifongiques sont allumés dans l’épiderme, site de l’attaque par le champignon.

« Si on établit la liste des gènes allumés en réponse à des infections par différents types d’agents, on trouvera deux sous-ensembles », commente J. Ewbank, « les gènes induits spécifiquement par un seul agent, selon sa nature, et les gènes communs induits par tous les micro-organismes. Si on se contente de provoquer une blessure stérile dans l’enveloppe du ver, on induit certains des gènes de défense communs observés lors d’une attaque de D. coniospora. Cette stratégie, permet à C. elegans de prévenir un risque accru d’infection simplement dû à la rupture de sa barrière physique ».

"Chaque gène est inactivé individuellement ce qui nous permet de mesurer son impact sur la capacité du ver à se protéger d’une infection"

Certains agents pathogènes, comme Pseudomonas aeruginosa, infectent aussi bien le nématode que l’homme, ce qui rend le modèle encore plus pertinent pour étudier les mécanismes de l’immunité innée anti-infectieuse.
« Nous avons mis au point une plateforme technologique qui nous permet d’évaluer l’implication de chacun des 19 000 gènes de C. elegans dans la défense antimicrobienne et les interactions hôtes-pathogènes » explique Jonathan Ewbank.
« Chaque gène est inactivé individuellement ce qui nous permet de mesurer son impact sur la capacité du ver à se protéger d’une infection. Nous identifions directement, à l’aide d’un gène rapporteur spécial (un gène témoin produisant une protéine fluorescente suite au contact entre le ver et un microbe), tous les gènes dont l’activité est requise pour la réponse à l’infection.. Cette approche systématique est automatisée et des outils informatiques intègrent et analysent à grande échelle l’ensemble des données recueillies. »

La simplicité génétique du modèle rend possible ce type d’investigations exhaustives et trouve des applications dans l’exploration d’autres processus biologiques complexes. D’où aujourd’hui la mise à disposition de cette plateforme génétique « universelle » de C. elegans à des immunologistes mais aussi des neurobiologistes ou des biologistes du développement qui souhaitent bénéficier des potentialités offertes par ce petit ver long d’à peine un millimètre.

 

* La protéine GFP (Green Fluorescent Protein) est une protéine naturellement fluorescente issue d’une petite méduse dénommée Aequorea victoria. Son gène peut être fusionné in vitro au gène de la protéine que l'on souhaite étudier. Ce gène de fusion, dit recombinant, est alors introduit dans un ver qui va synthétiser la protéine de fusion correspondante que l’on peut suivre dans le temps et l’espace à l’aide d’un simple microscope à fluorescence. En 2008, Martin Chalfie, Osamu Shimomura et Roger Tsien ont reçu le prix Nobel de chimie pour cette découverte.