Le grand mélange des gènes des lymphocytes

Les lymphocytes B et T du système immunitaire adaptatif sont aptes à combattre une multitude d’agents étrangers, encore appelés antigènes. Cette propriété découle de leur capacité à s’équiper de capteurs potentiellement aussi variés que les antigènes eux-mêmes. Cette diversité est obtenue grâce à la juxtaposition aléatoire de morceaux de gènes ; une recombinaison multi-étapes qui génère une infinité de séquences dont seules les plus utiles sont exploitées par les lymphocytes matures. In fine, chacune de ces séquences code un récepteur unique, propre à chaque lymphocyte, qui lui permet de lier un seul antigène avec une très grande spécificité.

L’identité des lymphocytes, comme d’ailleurs celle de toutes les cellules de l’organisme, est déterminée par l’activation ou l’inhibition des gènes spécifiques de la lignée : ceci explique pourquoi toutes les cellules d’un individu ne sont pas identiques bien qu’elles contiennent exactement le même ADN (i.e. le même patrimoine génétique). L’équipe de Pierre Ferrier tente d’appréhender les mécanismes qui régulent la recombinaison des gènes de la lignée lymphoïde, et plus généralement, l’allumage ou le maintien sous silence de ces gènes, des mécanismes communément désignés sous le terme « d’épigénétique ».

 

Notre ADN n’est pas rangé passivement sous forme de chromosomes : il est organisé de façon dynamique autour d’un complexe de protéines (la chromatine) qui permet de rendre disponibles, ou pas, les gènes contenus dans le noyau de la cellule.
Localement décompacté (la chromatine est dite ouverte), l’ADN devient accessible aux facteurs qui activent les gènes alors que là où la chromatine est compactée (donc fermée), les gènes sont inaccessibles et restent éteints. Ainsi, l’expression des gènes peut-elle être modulée dans le temps et dans l’espace, sans altération de la séquence primaire de l’ADN.

La dynamique de l’ADN des lymphocytes :
à l’interface de la biologie, des mathématiques
et, un jour… de la physique

L’équipe de Pierre Ferrier s’intéresse à la dynamique de l’ADN des cellules de la lignée selon trois approches : « Une partie de l’équipe se focalise sur l’étude multifactorielle de la différenciation des lymphocytes et du contrôle de la recombinaison des gènes qui codent leurs récepteurs », détaille Pierre Ferrier, « un autre groupe s’intéresse à la dérégulation de ce système et à ses conséquences pathologiques, en particulier dans la survenue des cancers. Enfin, nous collaborons avec des mathématiciens pour construire des modèles et développer des outils informatiques adaptés à l’intégration de la multitude des données biologiques que nous générons ».

En effet, les mécanismes de remodelage de la chromatine qui rendent possible la recombinaison des gènes des lymphocytes impliquent la coordination spatio-temporelle complexe d’un si grand nombre de facteurs que les systèmes d’étude eux-mêmes doivent être repensés. Cette « biologie théorique » se nourrit aussi des informations disponibles dans des banques de données publiques, qui sont intégrées aux découvertes de l’équipe afin de les enrichir et les consolider.
« Il existe toujours une règle mathématique pour prédire le comportement d’une population, fut-elle un ensemble de gènes » insiste Pierre Ferrier. « Dans notre cas, nous appliquons ces modèles à la compréhension des nœuds de régulations des gènes, qui sont au centre du développement du système immunitaire. Mais ces mêmes nœuds fondamentaux sont aussi les « cibles » idéales de dérégulation et leur dysfonctionnement a un impact fort pouvant conduire à l’immortalité de la cellule, c’est-à-dire à la perte du contrôle, et donc au cancer ».

A moyen terme, Pierre Ferrier estime que ces recherches en biologie trouveront un écho dans un domaine inédit : « Les physiciens s’interrogent de plus en plus sur les forces mises en jeu dans la matière pour que le système biologique fonctionne », explique t’il. « Il n’est pas possible que des facteurs devant se rencontrer et interagir pour déclencher une réponse biologique ne soient tributaires que de mouvements aléatoires : il doit exister des forces ou des énergies qui guident leurs déplacements les uns vers les autres ».

Bien plus que dans la séquence primaire de l’ADN humain qui n’est plus un secret depuis 2001, c’est bien dans la formidable dynamique du génome que résident les grands mystères du développement de notre système immunitaire et, au-delà, du fonctionnement de notre organisme.