Percevoir un stress et y répondre

La réponse cellulaire au stress (infections, irradiations, empoisonnements) est un thème très ancien de la biologie. Expérimentalement, provoquer délibérément un déséquilibre dans un tissu constitue le moyen le plus élémentaire d’étudier les mécanismes permettant le retour à la normalité de ce dernier. Une des fonctions centrales du système immunitaire étant de maintenir l’intégrité des tissus, il existe donc des mécanismes qui permettent à un tissu de déclencher une réaction immunitaire, protectrice ou réparatrice, en réponse à un stress.

À l’intérieur de la cellule, le stress induit un certain nombre de perturbations biochimiques parmi lesquelles le stress oxydatif* qui se traduit par la surproduction de molécules chimiques nocives très agressives. Celles-ci peuvent attaquer les constituants de la cellule et ainsi contribuer à diverses pathologies (inflammation, maladies cardiovasculaires, cancers). L’équipe de Philippe Naquet tente de caractériser la fonction de nouvelles molécules impliquées dans la réponse au stress tissulaire.

 

"Notre objectif est d’étudier comment un tissu perçoit et détecte un stress, puis comment ce stress module les « décisions » du tissu, par exemple l’enclenchement du recrutement de cellules immunitaires" souligne Philippe Naquet. "Si la détection du stress est défaillante, alors sa gestion n’est plus optimale et une maladie risque de survenir."

En explorant plus avant le lien entre stress et immunologie, l’équipe de Philippe Naquet a identifié l’un des facteurs majeurs impliqués dans la détection du stress et ses conséquences. Ainsi, en étudiant chez des souris préalablement irradiées, la reconstitution cellulaire et fonctionnelle du thymus, organe important pour la fabrication et la fonction des globules blancs, ils ont mis en évidence une famille de molécules dont la fonction était alors totalement inconnue, fait assez rare en recherche en biologie.

Philippe Naquet revient sur l’histoire de la découverte des molécules de la famille des vanines : "Dans un contexte immunologique (la reconstitution du thymus) notre découverte était imprévisible. La vanine-1 n’avait jamais été classée dans aucun domaine biologique, personne ne savait à quoi elle servait. Il a fallu près de 7 ans pour lui associer une fonction et cela n’a été possible qu’en mettant au point une souris dépourvue du gène codant pour cette molécule. Et encore ! Les souris sans vanine-1 sont apparemment normales, ce n’est que lorsqu’on les soumet à un stress que l’on peut observer l’impact de notre modification génétique."

Vanine

Distribution de la molécule vanin-1 de souris au niveau des plaques de Peyer de l'intestin grêle. vanin-1 (en vert), Cellules M (en rouge), filaments d'actine (en bleu). Copyright Philippe Naquet, CIML.


Et c’est sur la physiologie de la paroi de l’intestin que les effets se sont avérés les plus marqués, puisque la vanine-1 y est fortement présente et que ce tissu est particulièrement exposé au stress infectieux et inflammatoire (du fait de la présence d’un très grand nombre de bactéries en contact permanent avec sa surface).

L’équilibre instable de la réponse au stress

"Nous avons passé plusieurs années à étudier chez les souris déficientes en vanine-1 différentes situations de stress digestifs aigus (ulcères induits par des médicaments, colites provoquées par des infections bactériennes…). Dans ces premiers modèles, l’absence de vanine-1 améliore l’état des souris. Les souris dépourvues de vanine-1 sont généralement plus résistantes au stress oxydatif, en conséquence elles sont moins malades que les souris normales" raconte Philippe Naquet. "La vanine-1 agit comme détecteur du stress oxydatif mais dans ces situations, les réactions qu’elle déclenche sont trop intenses et aggravent l’attaque des tissus. Cependant, depuis, nous avons aussi trouvé des systèmes expérimentaux de stress dans lesquels la vanine-1 joue cette fois un rôle protecteur, puisque son absence y est délétère. La vanine-1 joue donc un rôle central mais aussi très finement régulé dans la gestion du stress : son mécanisme d’action dépend étroitement du contexte."
C’est aussi cela qui explique que l’étude de la fonction de cette famille de molécules n’a pas pu être menée dans des modèles cellulaires simples in vitro, mais a nécessité la mise au point de modèles « complets » chez la souris, où les multiples cibles potentielles de la vanine sont présentes.

Les questions que pose aujourd’hui l’équipe de Philippe Naquet se focalisent d’ailleurs en partie sur les partenaires de la vanine-1 et l’identification des cibles cellulaires qui réagissent lorsqu’elle émet le signal de détection d’un stress.

En complément, Philippe Naquet et son équipe tentent de démontrer l’applicabilité de leurs recherches à la physiopathologie humaine : "Quel est l’équivalent de ce système chez l’homme ?" s’interroge Philippe Naquet. "S’il y existe, ce système de régulation doit jouer un rôle majeur. Nous disposons maintenant d’outils permettant de détecter les molécules équivalentes à la vanine-1 dans des échantillons de patients, ce qui devraient nous guider vers les pathologies où elle joue un rôle dans la réponse au stress oxydatif." Cette molécule, présente à la surface des cellules de certains tissus, constitue une cible facilement accessible à des drogues. La vanine-1 étant un élément clef de la perception du stress et de l’induction d’une réponse à ce stress, son homologue humain pourrait alors s’avérer une très bonne cible thérapeutique pour nombre de maladies induites par le stress oxydatif.

 

* L’attaque des composants de la cellule par les radicaux libres, molécules chimiques très agressives que le métabolisme cellulaire normal produit en permanence.