Voyage inter-espèces au centre de l’univers des cellules dendritiques

Parmi la myriade de cellules immunitaires, il en existe une sous-catégorie à la morphologie singulière, les cellules dendritiques, nommées ainsi parce qu’elles présentent, sous le microscope, une silhouette en étoile composée de terminaisons allongées. Ces « podes » ou « dendrites » leur confèrent une zone potentielle de contacts et un rayon d’action bien supérieurs à ceux de cellules banalement sphériques.

Le métier des cellules dendritiques est au cœur du fonctionnement du système immunitaire. Virtuellement capables de communiquer avec toutes les autres cellules, elles coordonnent la réponse immunitaire (aux infections, aux blessures, aux cancers…) et assument elles-mêmes un certain nombre de fonctions (antivirales, par exemple). En réalité, sous le terme de cellules dendritiques, se cache de multiples entités, chacune spécialisée dans un petit nombre de fonctions. Ces fonctions sont en partie dictées par les cellules avec lesquelles elles interagissent, les signaux qu’elles émettent ou les organes dans lesquels elles résident.

L’équipe de Marc Dalod voyage au long cours dans cet univers complexe où beaucoup reste à découvrir.

 

« Les cellules dendritiques orchestrent à la fois la réponse immédiate, spontanée, du système immunitaire mais préparent aussi sa réponse tardive dite « mémoire », dans l’hypothèse où l’organisme rencontrerait une seconde fois le même pathogène », explique Marc Dalod. « Les immunologistes cherchent aujourd’hui à mieux comprendre cet univers complexe parce que ce système est parfois mis en défaut. C’est ce qu’on observe dans le cas d’une infection par le VIH, qui est notablement moins bien contrôlée par notre système immunitaire que d’autres infections virales. C’est précisément cette question qui a déclenché mon intérêt pour cette thématique : qu’est-ce qui cloche chez les cellules dendritiques dans la réponse immunitaire anti-VIH ? ».

Il n’est jamais techniquement aisé d’étudier la fonction des cellules dans le corps humain, c’est pourquoi la souris est souvent le modèle privilégié. Cependant, pour que l’extrapolation soit pertinente, il faut d’abord s’assurer que les cellules que l’on étudie et manipule, en l’occurrence, ici, les nombreuses sous-familles de cellules dendritiques, sont fonctionnellement équivalentes entre les deux espèces.

« Auparavant, l’hétérogénéité des cellules dendritiques était principalement décrite chez la souris. On en connaissait neuf types : trois résidant dans les organes spécialisés dans les fonctions immunitaires (par exemple les ganglions lymphatiques), cinq autres nichant dans des couches différentes de la peau (l’épiderme et le derme) et un dernier qui se développe uniquement dans des conditions inflammatoires. On pouvait affirmer que ces sous-populations de cellules dendritiques étaient différentes puisqu’elles ne savaient pas toutes produire les mêmes facteurs antiviraux (les interférons) ou qu’elles possédaient des étiquettes distinctes à leur surface », raconte Marc Dalod.

Des souris et des hommes...

« Chez l’homme, on n’en connaissait pas autant et l’équivalence avec le système dendritique de la souris faisait débat. Nous avons alors tenté d’unifier le modèle en investiguant au plus profond de ces cellules. En cartographiant, à un instant précis, tous les gènes actifs dans toutes les cellules dendritiques humaines et murines connues, nous avons établi pour la première fois des homologies convaincantes entre entités parmi les tissus d’une même espèce mais aussi entre les deux espèces».
Des populations de cellules dendritiques possédant la même spécialisation (par exemple l’activation de globules blancs tueurs de virus) ont ainsi été décrites avec une précision inédite et définies comme équivalentes dans la rate et la peau de la souris ainsi qu’entre l’homme et la souris. Ces résultats ont conduit l’équipe de Marc Dalod à proposer une classification simplifiée des cellules dendritiques en cinq sous-populations, potentiellement valable pour tous les tissus et toutes les espèces.

« Nous pouvons maintenant nous servir de modèles de maladies chez la souris pour prédire quelle sera la famille de cellules dendritiques la plus efficace pour obtenir une protection puis extrapoler ces découvertes au ciblage thérapeutique de leurs équivalents humains. Inversement, nous pouvons envisager d’améliorer une réponse immunitaire défaillante, comme dans le VIH, puisque nous saurons précisément identifier le maillon faible », s’enthousiasme Marc Dalod...

...et des moutons, des porcs, des poulets...

« Forts du succès de cette approche, nous élargissons désormais nos travaux à la classification des cellules dendritiques d’autres espèces animales. L’objectif est de mieux prévenir les grandes pandémies du bétail (volaille, mouton, porc…) et leurs graves conséquences pour l’économie et la santé humaine. »

D’un système fondamental aussi complexe que les cellules dendritiques découle donc potentiellement de nombreuses applications en thérapeutique humaine et vétérinaire. Mais surtout, le petit monde des cellules dendritiques illustre bien à lui seul la formidable diversité de morphologies, de localisations tissulaires, de fonctions… de la grande famille des cellules du système immunitaire.