Des cellules souches aux macrophages ou le fabuleux destin des cellules sanguines

Les travaux de l’équipe de Michael Sieweke se situent à l’interface de l’immunologie et de l’étude des cellules souches, des cellules capables de se renouveler et se différencier en de nombreux types cellulaires. Aux yeux des scientifiques et des médecins, ces dernières constituent ainsi le principal espoir de la médecine dite régénératrice qui vise à remplacer des cellules dégénérées ou malades par des cellules « neuves ».

En travaillant sur les cellules souches hématopoïétiques, les ancêtres de toutes nos cellules sanguines, ils ont découvert que ces dernières ne s’engageaient pas de façon aléatoire dans telle ou telle voie de différenciation mais « décidaient » de leur destin sous l’influence de facteurs externes. L’objectif étant dès lors de manipuler ces cellules pour influencer leur choix.

En 2009, l’équipe a également remis en cause l’un des paradigmes de la biologie qui veut qu’une fois spécialisée la cellule perde sa capacité à proliférer. Grâce à une petite modification génétique, ils sont parvenus à cultiver à l’infini des cellules adultes fonctionnellement efficaces. La médecine régénératrice pourrait ainsi franchir une nouvelle étape en amplifiant directement des cellules matures sans passer par l’intermédiaire de cellules souches !

 

Avec l'aimable autorisation de Nature Reviews Immunology.

Il n’est nul besoin de scruter très attentivement votre corps pour constater qu’il est composé de cellules distinctes. Manifestement, les cellules de votre peau ne ressemblent pas à celles de votre œil, et, même si vous ne les voyez pas, vous soupçonnez sans peine que celles de votre foie ou de votre cerveau sont encore différentes.

Et pourtant, au commencement, vous n’étiez qu’une seule cellule, mère de toutes les cellules de l’organisme ! Durant les tous premiers stades du développement embryonnaire, les cellules dites cellules souches pluripotentes peuvent encore donner naissance à n’importe quelle type cellulaire, et former un organisme complet. Elles possèdent aussi une capacité de prolifération virtuellement infinie.

Passé cette étape, les cellules filles perdent ces capacités. Mais dans l’embryon plus âgé ou même chez l’adulte on retrouve encore des cellules souches meme si elles sont qualifiées de multipotentes car déjà un peu plus spécialisées : engagées sur une voie de différenciation, elles ne produiront qu’une seule et unique lignée de cellules qui contribueront à la composition d‘un tissu et/ou d’un organe : foie, peau, cerveau, sang…

Quels sont les signaux qui enclenchent le programme de différenciation d’une cellule souche ? Pour répondre à cette question, vieille comme l’histoire de la biologie, Michael Sieweke étudie aujourd’hui la différenciation des cellules souches hématopoïétiques, les ancêtres de toutes nos cellules sanguines.

Tu seras un globule blanc ma fille !

Dans un organisme adulte « fini », le système immunitaire conserve en effet cette aptitude à la différenciation, une aptitude qui lui permet de répondre aux stimuli permanents de l’environnement. Ainsi, toutes les cellules sanguines spécialisées sont renouvelées en continu à partir d’un petit groupe de précursseurs communs niché dans la moelle osseuse : les cellules souches hématopoïétiques. C’est ce modèle qu’a choisi Michaël Sieweke pour tenter de décrypter les secrets de la différenciation, d’abord dans des cellules immunitaires en culture, puis dans une souris.

L’engagement dans une voie de différenciation dépend à la fois de signaux externes et internes à la cellule. Dans ce sens, l’équipe de Michaël Sieweke a démontré que l’inactivation de MafB, un facteur intrinsèque gouvernant la mécanique de la cellule combinée à l’action d’un signal venu de l’environnement (une cytokine dénommée M-CSF) déclenchaient la différenciation des cellules souches hématopoïétiques vers la lignée myéloïde du système immunitaire (un sous-groupe de globules blancs : les granulocytes et les monocytes, doté de propriétés particulières).

Michaël Sieweke a ainsi pu contempler la naissance de la toute première cellule fille de la lignée : "Grâce à une étiquette identifiant spécifiquement les cellules myéloïdes, nous avons observé, à l’échelle d’une seule cellule, l’instant précis où cette dernière change de destin."

Cette découverte fondamentale pourrait résoudre l’un des enjeux de la médecine régénératrice : la maitrise contrôlée de la différenciation des cellules souches. Elle pourrait également apporter un nouvel éclairage sur les leucémies, où des cellules souches anormales « oublient » de s’engager dans une voie de différentiation, prolifèrent indéfiniment dans cet état habituellement transitoire de cellules « mères » et échappent aux traitements.

La fin des greffes d’organes et des cellules souches ?

Pour obtenir en masse les cellules thérapeutiques désirées, la médecine régénératrice doit-elle obligatoirement passer par la case cellules souches ? Jusqu'à tout récemment la réponse était oui, mais là encore, une découverte de l’équipe a changé la donne.

Une fois la spécialisation acquise, les cellules perdent leur aptitude à proliférer, tout simplement parce que le corps n’a pas besoin d’un nombre infini de cellules spécialisées. Ainsi, capacité de renouvellement et spécialisation fonctionnelle ont longtemps été considérées comme incompatibles : "Une cellule différenciée qui prolifère c’est toujours un problème potentiel puisqu’elle est habituellement synonyme de cancer." confirme Michael Sieweke. "Et pourtant, nous avons bousculé ce dogme : nous avons démontré qu’il est possible pour une cellule de se diviser à long terme dans un état différencié, sans aucun signe de transformation cancéreuse, ni perte des fonctions associées à cette spécialisation."

Pour parvenir à ce résultat, l’équipe a manipulé génétiquement des macrophages de souris, cellules différenciées de la lignée myéloïde. En inactivant simultanément deux facteurs de contrôle cellulaire (MafB et c-Maf) dans des macrophages de souris, ils ont restauré leur capacité à se diviser indéfiniment en culture sans pour autant mettre en défaut les fonctions qui font d’eux des macrophages.

Plus étonnant, après une longue expansion en culture, ces macrophages déficients en MafB et c-Maf, greffés à des souris, ne prolifèrent plus, donc ne forment pas de tumeur cancéreuse. Mieux encore, ils intègrent sagement leurs tissus hôtes et contribuent à la protection des animaux contre les infections bactériennes, démontrant ainsi qu’ils ont conservé leurs fonctions au sein d’un organisme entier.

Les macrophages déficients pour MafB et c-Maf sont toujours des cellules matures spécialisées dans l’ingestion de microbes (ici ils ingèrent des billes fluorescentes, cerclées en rouge) mais ils ont acquis la stupéfiante capacité de se multiplier indéfiniment en culture (les cellules se divisent continuellement, fléchées en vert). Copyright, M Sieweke, CIML


"C’est une petite révolution !", s’enthousiasme Michael Sieweke, "Imaginez que dans un futur proche, on identifie les facteurs équivalents à MafB et c-Maf non plus dans les macrophages, mais ceux dédiés au contrôle d’autres cellules du corps. On pourrait alors les inactiver dans un petit échantillon de cellules, les multiplier en culture puis les injecter directement dans l’organe défectueux d’un malade pour le réparer. Plus besoin de greffe d’organe compliquée ni de passer par la case « cellules souches embryonnaires » ! Reste évidemment à démontrer que cette approche fonctionne chez l’homme et pour d’autres types cellulaires."