Comment faire pencher l’équilibre du système immunité-cancer vers la destruction de la tumeur ?

Nous ne doutons pas de l’immunogénicité du cancer, c’est-à-dire de sa capacité à induire une réponse immunitaire, comme le ferait un microbe ou un vaccin. En effet, chez des patients atteints d’un cancer, des cellules immunitaires spécifiques sont dirigées contre des étiquettes - baptisées antigènes tumoraux - portées par les cellules cancéreuses. On a aussi montré que les tumeurs étaient naturellement infiltrées par une grande variété de cellules immunitaires.

Ces observations ont conduit pendant les 20 dernières années au développement de l’immunothérapie anti-cancéreuse : une approche qui cherche à forcer l’activation du système immunitaire contre la tumeur. 

Reste que l’attitude des cellules immunitaires à l’égard d’une tumeur est souvent contradictoire. Certaines attaquent la tumeur quand d’autres l’épargnent voire même favorisent sa croissance. L’équipe d’Anne-Marie Schmitt-Verhulst tente aujourd’hui de mieux comprendre ces phénomènes dans l’espoir d’améliorer les immunothérapies existantes.

 

Le rôle du système immunitaire dans le contrôle de la croissance tumorale est en réalité extrêmement ambigu. Certes, par exemple, la localisation précise de certains lymphocytes dans des tumeurs colorectales est un facteur prédictif puissant de la survie des patients, mais la présence d’autres cellules immunitaires à d’autres endroits de la tumeur constitue plutôt un facteur de mauvais pronostic.

La tumeur utilise des cellules de son environnement, y compris des cellules du système immunitaire, pour son propre bénéfice, soit en soutien direct de sa croissance, soit en induisant des cellules dites « cellules suppressives » aptes à contrecarrer l’action anti-tumorale des cellules immunitaires. Par ailleurs, parmi les cellules immunitaires engagées dans la bataille contre la tumeur, certaines conservent longtemps leur capacité alors que d’autres « s’essoufflent » rapidement après la première attaque.

Décortiquer le système cancer-immunité…
de la souris au patient

« Les modèles animaux de cancers humains utilisant des lignées tumorales transplantées chez l’animal peinent à rendre compte de la complexité des phénomènes qui sont mis en jeu lorsque la tumeur s’installe et croît, notamment des interactions cellulaires que cela implique » rappelle Anne-Marie Schmitt-Verhulst. « Une tumeur, c’est un amas plus ou moins organisé de cellules cancéreuses installées dans un « stroma ». Cette structure complexe, irriguée par des vaisseaux sanguins induits par la tumeur elle-même, est envahie par de nombreux types de cellules immunitaires : certaines réagissent contre la tumeur, d’autres favorisent sa prolifération, d’autres enfin sont devenues indifférentes à l’égard de la tumeur. Comment cet ensemble se met-il en place ? La réponse à cette question conditionne notre capacité à faire pencher l’équilibre du système vers l’élimination de la tumeur. »

Pour décrypter ces phénomènes, l’équipe d’Anne-Marie Schmitt-Verhulst a développé un modèle original de mélanome chez la souris.

Le mélanome est un cancer de la peau dont le pronostic est d’autant plus péjoratif qu’il est souvent diagnostiqué tard donc déjà métastasé. Ce cancer est bien connu pour son immunogénicité. Historiquement, c’est dans le traitement du mélanome que les approches d’immunothérapie les plus variées ont été et sont encore tentées, avec des succès divers : molécules stimulant tous les lymphocytes, thérapies cellulaires basées sur l’injection de cellules immunitaires activées, facteurs bloquant les cellules suppressives et même vaccins anti-tumoraux.

« Grâce à notre modèle de mélanome inductible chez la souris nous disposons d’une tumeur dont l’architecture ressemble à certaines « vraies » tumeurs humaines » souligne Anne-Marie Schmitt-Verhulst. Parce que celle-ci renferme la plupart des acteurs impliqués, cette tumeur modèle permet :

  • d’étudier la façon dont le système immunitaire perçoit la croissance de la tumeur in situ. L’équipe dispose chez la souris de lymphocytes spécifiques d’antigènes tumoraux dont l’activité anti-tumorale peut être tracée au cours du développement tumoral, permettant ainsi d’évaluer par quel mécanisme ces lymphocytes « s’épuisent » au contact de la tumeur ;
  • de mieux comprendre comment les signaux envoyés par la tumeur influencent le développement des cellules immunitaires ;
  • d’analyser les effets de « super-lymphocytes » ; des cellules lymphocytaires dont les voies de signalisation ont été préalablement manipulées pour renforcer leur capacité à éliminer des cellules tumorales ;
  • d’interpréter les effets biologiques induits par les composés d’immunothérapie sur les cellules cancéreuses.


« À terme, en comparant les profils des cellules immunitaires de notre modèle avec ceux issus de biopsies de patients, nous espérons contribuer à la mise au point de nouvelles immunothérapies contre les mélanomes. Des composés capables à la fois de mobiliser les cellules les plus efficaces et de contourner les contraintes induites par les cellules cancéreuses »
conclut Anne-Marie Schmitt-Verhulst.