Mais où et comment grandissent les lymphocytes B ?

Les lymphocytes B sont spécialisés dans la production d’anticorps, protéines conçues pour reconnaitre des éléments (ou antigènes) portés par des agents étrangers à l’organisme et les rendre ainsi repérables par le système immunitaire.
Les lymphocytes B sont générés en continu dans la moelle osseuse, sous forme de précurseurs inexpérimentés. Étape par étape, ils acquièrent différentes propriétés, la première étant de ne pas réagir contre les constituants normaux de l’individu (le soi), les suivantes visant à faire d’eux des cellules matures à même de produire un anticorps reconnaissant un antigène unique.

Les premières étapes de cette évolution, appelée différenciation, ont lieu dans la moelle osseuse, les suivantes se déroulent ailleurs, en particulier dans la rate, les ganglions et les tissus lymphoides associés aux mucqueuses.

Spécialisée dans les premiers stades de la vie des lymphocytes B, l’équipe de Claudine Schiff a mis au point des outils et systèmes d’analyse inédits pour étudier les étapes précoces de leur différenciation dans la moelle osseuse.

 

À l’intérieur de la moelle, les lymphocytes pré-B sont contenus dans les mailles d’une trame constituée de cellules stromales (mélange de cellules conjonctives, de cellules adipeuses et de jeunes cellules osseuses). Claudine Schiff et son équipe ont démontré que ces lymphocytes 'débutants' ne pouvaient entamer leur différenciation sans l’aide de ces dernières.

Les lymphocytes pré-B (en vert) siègent dans des niches spécialisées de la moelle constituées de cellules stromales (en rouge). Copyright Claudine Schiff, CIML. 

« Les lymphocytes pré-B siègent dans des niches spécialisées de la moelle constituées de cellules stromales avec lesquelles elles établissent des contacts très intimes » souligne Claudine Schiff « Ainsi le stroma ne se contente pas de structurer la moelle, il joue aussi un rôle actif en sécrétant des molécules comme la galectine 1, qui induisent et poussent les cellules pré-B à se différencier. Les lymphocytes pré-B ne possèdent encore qu’un récepteur à l’antigène très incomplet, mais il est déjà suffisant pour recevoir ces informations qui vont guider leur maturation ».

Vers la première carte fonctionnelle de la moelle osseuse ?

Impossible de reconstituer ces niches stromales et leur dynamique dans un tube à essai, elles perdent toutes leurs propriétés in vitro. En revanche, si on réinjecte à des souris des cellules pré-B sélectionnées à un stade de différenciation choisi, elles vont spontanément se localiser dans ces fameuses niches, dans lesquelles on visualise sans ambigüité la protéine galectine 1, produite par les cellules stromales, et le pré-récepteur B.

« Ni des précurseurs B plus « jeunes », ni des cellules B plus différenciées n’ont le même tropisme pour ces niches, dans lesquelles se joue spécifiquement l’une des étapes de la maturation »
souligne Claudine Schiff. « Prochainement, nous pourrons identifier d’autres types de niches stromales, formées pour soutenir d’autres étapes de la différenciation des cellules B. » Ils espèrent ainsi non seulement dessiner une cartographie fonctionnelle de la moelle osseuse mais aussi révéler les facteurs impliqués dans les étapes médullaires de la différenciation des lymphocytes B.

Ces découvertes sont appuyées par des observations faites chez des malades atteints d’agammaglobulinémie, un déficit immunitaire d’origine génétique, qui se traduit par une absence d’anticorps circulants. L’équipe de Claudine Schiff a accès à des échantillons de patients, dans lesquels l’étude des gènes défectueux permet de confirmer le rôle de facteurs connus dans la différenciation des lymphocytes B, mais aussi d’en identifier de nouveaux, dont la fonction sera ensuite étudiée dans les modèles développés par l’équipe.

Quand le stroma joue aussi un rôle pathologique

Ces travaux sur les interactions entre lymphocytes pré-B et cellules de la moelle osseuse éclairent aussi des aspects pathologiques liés à la fonction de ces niches stromales.

Les ganglions lymphatiques, dans lesquels résident des lymphocytes B beaucoup plus matures, présentent des structures voisines de celles observées dans la moelle osseuse, structures qui portent d’autres interactions lympho-stromales. Celles-ci sont maintenues - et joueraient un rôle délétère - lors de la survenue d’un lymphome folliculaire, transformation cancéreuse d’un lymphocyte B résidant dans un ganglion.

« Chez la majorité des patients atteints de lymphome folliculaire, on retrouve très rapidement des cellules B cancéreuses dans la moelle osseuse » observe Claudine Schiff. « On ne sait pas encore si ces cellules « reviennent » du ganglion vers la moelle, mais on constate qu’elles y ont reconstruit un environnement stromal favorable à leur croissance. Nous étudions les mécanismes de migration « retour » de ces cellules cancéreuses vers la moelle et le rôle du stroma dans la sélection de clones tumoraux dans ces niches reformées. C’est une question qui a des implications thérapeutiques majeures, puisque rien ne dit que les cellules de lymphome localisées dans la moelle sont aussi sensibles aux traitements que celles restées dans les ganglions : tout porte à croire, au contraire, que la moelle joue plutôt un rôle protecteur vis-à-vis de ces cellules cancéreuses ».

Aujourd’hui, l’équipe de Claudine Schiff revendique une connaissance unique des interactions cellulaires mises en jeu dans les tout premiers moments de la naissance et de la différenciation des lymphocytes B. Désormais validées par des observations cliniques, ces découvertes devraient contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes facilitant l’installation et la croissance des cellules cancéreuses dans la moelle osseuse.